Paris, 2015-11-13
Le cri sourd du pays
Un jour à peine est passé depuis les nouvelles attaques sur Paris, et certains ont déjà cédé aux clairons de la rhétorique martiale. L’émotion est vive pour nous tous; il est pardonnable d’avoir trébuché un instant, d’avoir parlé dans la peur, d’avoir paniqué. Mais il est indispensable de se ressaisir.
Ami député, ami sénateur: lundi tu te réuniras en Congrès pour assister à une déclaration du Président de la République. Ce sera le début d’une suite de choix et d’évènements qui infléchiront notre avenir, qui décideront du résultat de notre combat contre la terreur, qui influeront à terme sur de nombreux aspects de notre société.
Ami, pour nous tous, quel que soit ton bord, ne cède pas.
La peur est là, ne le nions pas. Notre premier réflexe est de crier plus fort que la confusion, de vouloir s’entendre soi-même par-dessus la cohue. En celà, tu n’es pas différent de nous autres.
Là où tu te distingues de nous, c’est que tu t’es porté volontaire pour devenir un responsable démocratique. Tu as été élu. Nous nous devons, toi comme moi, par delà ton humanité et les craintes qui peuvent te saisir, d’attendre de toi que tu sois à la hauteur de cet engagement, que tu en sois digne.
Il ne s’agit pas ici d’attiser nulle polémique. Les désaccords que nous avons et que nous continuerons d’avoir, nous les réglerons, comme toujours, par le débat et par les urnes.
Ce que je te demande, ami élu, c’est que cette fois, ne serait-ce que pour un instant seulement, tu entendes le cri sourd qui, sous la peine, comme à chacune de ces tragédies, monte du pays. Il ne demande pas une revanche: c’est une victoire d’une toute autre teneur qu’il réclame.
Il ne demande pas de discours guerroyant; il exige professionnalisme et retenue dans une lutte qui se doit de rester toujours juste contre ceux qui font négoce de l’effroi, en France comme ailleurs.
Il ne demande pas qu’une nouvelle Ligne Maginot technocratique vienne s’ajouter à la liste déjà longue des lois anti-terroristes. Il appelle à ne renoncer à aucune des libertés qui nous font vivre, aucune des égalités qui nous font espérer, aucune des fraternités qui nous font aimer.
Il demande que nous ayons la trempe, cette fois, de ne pas céder. Trop souvent déjà nous avons été assaillis, et trop souvent notre seule réponse fut d’abonder dans le sens de nos agresseurs en renonçant à ces idées si chères qui, ensemble, nous définissent, et que tous, par nos actes, nous définissons.
Il demande la force de ne pas oublier que l’enfer d’un soir pour nous est l’enfer quotidien de ceux qui viennent par dizaines de milliers solliciter notre asile; il demande que la #PorteOuverte ne le soit pas qu’aux seuls Parisiens.
Il appelle la fierté. La fierté de rester debout, forts de nos valeurs d’ouverture et de
progrès, et tous ensemble ainsi que par ton truchement, ami élu, de tout simplement dire
merde
à ceux qui voudraient que nous nous reniions.
Ami, je le dis peut-être fortement mais avec la sincérité qui nous est aujourd’hui indispensable: si tu n’as pas le courage de rester droit dans la tempête, si tu n’as pas la force d’ignorer les sirènes de la facilité sécuritaire, élu, tu ne nous es d’aucune aide, d’aucun secours.
Entends notre cri sourd, tiens-toi avec nous; ensemble, ne cédons pas.
Le commerce de la peur ne se fait pas que par le sang. Ami, n’y collabore pas.